Interview avec Izïa Higelin enregistrée le samedi 9 novembre 2019, salle Beaufils, à Saint-Lô, quelques heures avant le concert complet dans le cadre des Rendez-Vous Soniques.
Izïa, déjà 4 albums, un virage avec « La vague » en 2015 mais surtout que de chemin parcouru en une décennie !
Oui, il y a eu beaucoup d’évolutions. Je pense essentiel de se réinventer, de s’écouter, de ne pas forcément être là où on nous attend, quitte à en décevoir certains. J’ai besoin de tracer ma route et d’évoluer car je compte rester là un paquet de temps ! (rires)
As-tu eu l’impression de te mettre en danger avec « Citadelle », ton quatrième album ?
Moins que sur « La vague » qui était un tournant. Cette fois-ci, c’est plutôt l’affirmation d’un changement. Disons que je me mets à nu. Ca me semble essentiel de parler de soi dans sa musique, de se laisser complètement aller à la sincérité, à l’honnêteté. Ca m’a fait beaucoup de bien.
C’est un disque avec un début, un milieu, une fin.
Oui, il peut aussi être écouté chanson par chanson mais Bastien Burger, qui a réalisé l’album, et moi-même souhaitions que « Citadelle » trace un chemin. Il y a cette grande ouverture avec « Dragon de métal », morceau sur mon père, et je quitte l’album avec une chanson sur mon fils. Cet album parle de la transmission, de l’existence, de notre passage sur Terre.
Penses-tu que tout va « Trop vite » aujourd’hui ?
Oui, les gens manquent de patience, moi la première. Nous n’avons plus le goût d’attendre que les choses arrivent à point nommé. La société va vite et crée des gens impatients. Il est pénible de rester en surface, de ne plus pouvoir aller dans le fond des choses. On ne parle pas longtemps. Les interventions sont toujours courtes. On fait des études de marché pour se rendre compte qu’au bout d’une minute et dix secondes de musique à la télévision, les gens zappent. A tous aller dans ce sens, on ne rééduque pas les gens ! C’est dommage. Mais dans toute culture, il y a une contre-culture. Des personnes ont envie de prendre plus le temps. C’est ce qu’on retrouve dans les podcasts qui prennent le contre-pied de ces espèces de trucs de trente secondes où on répond à des questionnaires hyper-rapidement.
Dans l’industrie musicale, les artistes ont-il le temps de développer leurs albums ?
De moins en moins ! C’est une conversation qu’on a énormément avec le groupe car le milieu change à une vitesse ! C’est troublant. Depuis « La vague », en 2015, j’ai l’impression d’atterrir dans un nouvel univers. Il faut réapprendre plein de choses. Ou imposer son style comme j’essaie de le faire un peu ! On voit beaucoup d’artistes présents en permanence car on se dit qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Il y a tellement de nouveautés. On nage dans les propositions. Avec les plateformes de streaming, c’est une opulence de musique. Alors, quand tu as ta place, on te pousse à ne pas la lâcher. Il suffit que tu te barres et quelqu’un d’autre arrive. Je suis très contente d’être arrivée il y a plus de dix ans à une époque où le public était plus fidèle.
Tu as eu le temps de faire ta place ?
Oui, je pense que des gens me suivent et sont là toute ma vie. Même si ça a été très vite dans ma vie, j’ai réussi à prendre le temps entre chaque disque pour me poser et réfléchir à ce que j’avais envie pour la suite. C’est un luxe que j’ai parce que des personnes fidèles me soutiennent. Evidemment, j’ai envie de conquérir plus de monde, inciter toujours plus de personnes à venir à mes concerts et écouter ma musique. Mais je pense qu’il est vital de prendre le temps. Pour se demander où on a envie d’aller, pour se réinventer.
Pour ton quatrième album, l’exercice de la promotion est-il parfois douloureux ? Y-a-t-il des jours où c’est plus difficile que d’autres ?
C’est complètement ça. Avec Bastien, quand on était en train de faire l’album, on ne réfléchissait pas à ça, à la promo, au moment de chanter la chanson sur scène. Quand ça s’est imposé à moi, il y a des moments où ça a été difficile de voir des images de mon père sur des plateaux télé. Des images de notre vie intime, en train de s’embrasser juste après sa sortie de scène. C’est un peu violent. Mais parler de mon père, de son départ, de choses intimes, ça va. J’adore parler de lui et j’adore qu’on me parle de lui. Comme plein de gens, j’ai perdu mon père. C’est extrêmement douloureux, d’autant plus qu’on avait une relation très fusionnelle. Il me manque chaque jour terriblement mais j’ai la chance d’avoir un père immortel parce qu’il vit dans le cœur des gens, dans la voix des gens, dans les histoires qu’ils me racontent. Quand on me parle de mon dernier disque, on me parle forcément de lui. C’est joyeux, c’est heureux aussi parce qu’il est là. Sur la fin de sa vie, il était moins présent. Aujourd’hui, je le ressens plus fort que jamais.
Etre mère oblige-t-il à réorganiser ton temps en tant qu’artiste ?
Pas tellement. Mon fils nous accompagnera sur la route. Il aura la vie que j’ai eu. C’est exaltant. Etre mère était un souhait profond. Je suis tellement heureuse qu’il soit arrivé dans notre vie. C’est le cycle , comme un disque qui commence et qui termine. C’est incroyable. Il arrive souvent qu’un être part quand un autre arrive. C’est très commun en fait. Je suis mère, femme et artiste. Ce ne sont pas des rôles que je dissocie les uns des autres. Je les cumule. Je ne serai jamais femme avant tout, mère avant tout, actrice ou chanteuse avant tout. J’ai l’impression d ‘être un grand mélange de tout ça.
Comment est né ton duo avec Dominique A ?
Ca faisait très longtemps que je voulais travailler avec lui. Il est un des artistes que je respecte le plus et je l’écoute depuis mes 15 ans. Quand j’ai écris « Esseulés » à la guitare, que j’ai chanté cette mélodie et que je l’ai réécoutée quelques semaines plus tard, j’ai pensé au lyrisme de Dominique A. Alors je l’ai appelé – on avait failli collaboré précédemment – en lui expliquant « J’ai vraiment une chanson pour toi, j’ai l’impression que je l’ai écrite pour toi. » Il l’a adoré. Quand il est venu en studio, j’étais enceinte de sept mois et demi. Il a enregistré sa voix , j’ai enregistré la mienne plus tard car je n’avais plus du tout la même voix à la fin de ma grossesse. Franchement, c’est un de mes morceaux préférés du disque si ce n’est pas mon préféré.
Et qu’est-ce qui t’a donné envie du duo avec Jeanne Added sur le titre « Chevaucher » ?
D’abord beaucoup d’amitié, d’amour, de respect pour cette femme que je trouve extraordinaire. Jeanne est une artiste complète avec une voix hallucinante. Elle est aussi une amie que je connais depuis très longtemps. Elle avait assuré mes premières parties quand j’avais 16 ou 17 ans et elle jouait à la basse toute seule. Il y a chez Jeanne une vérité dans laquelle je me retrouve et je me reconnais. Et je vois un peu chez elle comme une âme sœur. Dès qu’elle chante, c’est la vérité. J’essaie de tendre mon art vers ça.
Et puis Jeanne est une rideuse comme moi ! Elle participe donc à cette chanson sur la liberté, sur deux femmes qui chevauchent la nuit. Elle a traversé la France dans tous les sillons et musiques possibles. C’est une cavalière ! Que Dominique et elle soit sur le disque, c’est comme avoir deux bonnes fées sur l’album. Ce sont mes bijoux. Je les aime artistiquement et humainement.
Izïa, balance ta prog !
Un morceau de…Jeanne Added ?
J’ai écouté « Look at them » dans toutes les versions possibles et elle me fait pleurer toutes les larmes de mon corps. C’est criant de vérité. Un morceau tellement beau, tellement bien composé. C’est de l’orfèvrerie.
…Dominique A.
J’hésite mais je vais dire « Le courage des oiseaux ». La version live est complètement démente. C’est un titre que j’ai eu la chance de chanter avec lui une fois.
…Arthur H.
« Aventi ! »
…Jacques Higelin.
« Le berceau de la vie. » C’est comme s’il avait écrit pour préparer les personnes qui l’aiment à son départ. C’est incroyable ce titre. « La mort est le berceau de la vie » symbolise complètement notre histoire.